« Le moral des agriculteurs est en berne face à un climat anxiogène pour notre profession. En huit ans d’engagement chez les Jeunes agriculteurs, je n’avais jamais ressenti une telle morosité. Le nombre d’exploitants baisse depuis cinq ans et nous n’avons aucune visibilité sur les dix années à venir. Comment inciter un jeune à s’installer dans ces conditions ?
Sur le plan économique, nous sommes dépendants des prix du marché. Hormis en 2016, nous n’avions pas connu de tels prix depuis longtemps. Si le cours du blé avait suivi la hausse de 280 % du Smic horaire depuis les années 1980, nous le vendrions à 500 euros la tonne, et non à 160 euros. Depuis vingt ans, nos charges ne cessent d’augmenter, et elles ont explosé ces deux dernières années. Pour la troisième année consécutive, les agriculteurs puisent dans leur trésorerie. En 2025, aucune culture ne permet de redresser la barre. À part le colza qui maintient son prix, toutes les autres sont en chute. Le marché de la pomme de terre s’est effondré, le maïs a perdu 30 euros la tonne à quelques jours de la récolte. S’ajoute à cela la jaunisse sur les betteraves… Les décisions politiques et réglementaires nous tombent dessus les unes après les autres avec l’acétamipride ou le Mercosur dernièrement. Nous sommes actuellement sans gouvernement. En étant sarcastiques, nous pouvons peut-être nous en réjouir puisqu’il n’y aura pas de nouvelles décisions à l’encontre de l’agriculture. En réalité, nous n’aurons pas non plus d’avancées. Nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire d’un soutien de la population. Il y a deux ans, neuf Français sur dix soutenaient notre mouvement. Depuis, les agriculteurs et le grand public ont été mis en opposition par toute une frange du paysage politico-médiatique qui nous pointe du doigt. Deux millions de personnes ont signé une pétition sans savoir ce que comprenait ce texte, uniquement pour les mots néonicotinoïdes et acétamipride. Pourtant, ces produits sont en vente pour le grand public, utilisés contre les puces, les fourmis ou les mouches. Nous, agriculteurs, sommes formés, certifiés, contrôlés, mais on nous interdit de les utiliser. Il y a un cruel manque de pragmatisme. On peut invoquer la science à tout-va, mais elle a besoin de temps pour nous aider. Il faut dix ans de recherche pour homologuer un nouveau produit. Tant qu’on ne nous laisse pas le temps, la France va continuer de saborder tous les programmes existants sans avoir de solutions alternatives. Le bio ne suffira pas et le consommateur n’est pas prêt à payer davantage pour son alimentation.
Face aux discours politiques, aux contraintes réglementaires et à l’absence de perspectives économiques, nous avons l’impression d’être la seule profession qui n’a pas le droit de vivre de son métier. Ce n’est pas la gloire qui nous fera manger à la fin du mois. Nous devons aussi améliorer notre communication. Des événements comme le Festival de la terre doivent nous permettre d’attirer des personnes voulant découvrir le monde agricole. Il faut discuter avec la population dès que nous le pouvons, à l’image des échanges dans la cabine des tracteurs lors des baptêmes. Il faut évoquer notre métier en profondeur, montrer la précision des technologies, les conditions d’utilisation, et ainsi faire changer les états d’esprit visà- vis de notre profession. »