« Faire de la campagne francilienne le plus bel endroit de la Terre » 

Agriculteur à Itteville (Essonne), Thierry Desforges est l’un des fondateurs d’Émile et une graine et administrateur de la FDSEA Île-de-France. 

 « En hommage et en soutien aux agriculteurs français et du monde entier qui souffrent, en Ukraine bien sûr, mais aussi dans tous les pays du monde, j’aimerais commencer cet édito en incitant tous les acteurs du monde agricole et politique à la solidarité et au  »mieux vivre ensemble alimentaire ». 

La souveraineté alimentaire n’a jamais pris autant de place dans l’espace médiatique, et s’est invitée au coeur du quotidien des Français, qui se préparent à subir des pénuries de plus en plus récurrentes. Pourtant, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle, la thématique agricole trône toujours en bonne dernière des préoccupations politiques des candidats, et reste vue comme une variable d’ajustement idéologique de l’environnement. C’est pourtant faire fi des énormes progrès réalisés par les agriculteurs, et en particulier les agriculteurs franciliens. 

En l’espace de dix ans, il suffit de parcourir les plaines et les vallées franciliennes pour voir le profond bouleversement de nos systèmes d’exploitation. Des centaines de kilomètres de haies ont été plantées. De plus en plus de couverts végétaux, mettant en oeuvre de nombreuses espèces mellifères, occupent les sols dès la fin des moissons jusqu’à l’automne, bénéficiant des avancées technologiques dans le domaine du machinisme. L’allongement des rotations est conséquent, avec la diversification des systèmes de production et l’augmentation des surfaces de légumineuses. Et enfin, la région Île-de-France est un des meilleurs élèves pour la conversion en agriculture biologique, et les succès économiques rencontrés dans ces exploitations converties sont une vraie fierté. 

Pourtant, en dix ans, et malgré tous ces efforts opérés ça et là, nos exploitations sont toujours aussi exposées aux vents contraires : 

– à l’opinion publique d’abord, portée parfois par la voix de journalistes militants ; 

– aux marchés ensuite, quand les cours des denrées peuvent subir une volatilité de plus de 100 uros/tonne sur une même journée, comme c’est le cas du colza ces derniers jours ; 

– aux coûts de production enfin, en pleine explosion, des engrais qui ont bondi de 430 % en quelques mois, des machines agricoles de plus en plus chères, et de moins en moins disponibles. 

Mais je ne suis ni fataliste, ni attentiste ! Je suis convaincu que les agriculteurs franciliens peuvent sortir grandis de cette période de troubles. Comment ? En développant les outils de la résilience qui me sont chers : 

– (re)faire du mutualisme le coeur de notre projet agricole : promotion des Cuma, performance économique des coopératives, etc. ; 

– attirer des talents d’horizons différents sur et autour de nos exploitations, qui sauront nous accompagner durablement face aux nombreux enjeux que nous rencontrons : commerce, marketing, communication, investissement, stratégie d’entreprise, finance… Nous sommes trop dépendants des entreprises qui nous vendent des services pour un niveau de conseil qui doit monter en gamme sensiblement. La création d’un super GIE* Employeurs permettrait aux agriculteurs à la recherche de performance, sur la base du volontariat, de se doter de telles ressources ; 

– créer des vocations chez les plus jeunes pour alimenter le vivier des ressources humaines, en créant un parcours d’immersion dès la 6e pour des élèves volontaires ; 

– créer un fonds de dotation d’urgence en capital abondé par et pour les agriculteurs pour aider à financer, temporairement et en cas de besoin, les collègues qui traversent une crise ou une difficulté passagère. 

Grâce à ces outils, et tout ce qui est déjà fait par le syndicat et l’ensemble de la profession, nous serons armés pour projeter nos exploitations dans l’avenir, et faire de la campagne francilienne le plus bel endroit de la Terre. »