« Les potins du village en période de moisson »

Godefroy Potin, agriculteur à Us (Val-d’Oise), est président du Service de remplacement en agriculture d’Île-de-France et administrateur de la FDSEA Ile-de-France.

 « Difficile cohabitation lorsque tout le monde à un avis sur tout, scrute tout et se renseigne au travers de médias fortement orientés. Je vais vous raconter ma petite expérience durant la moisson. 

Je fais partie d’un groupe Whatsapp du village (une centaine de membres) qui délivre des informations diverses et variées sur la vie de la commune ou qu’une personne trouve pertinentes à partager. Un des derniers sujets remontés par un habitant est l’arrêté préfectoral interdisant ou limitant certains usages de l’eau. Nous n’avons pas beaucoup d’irrigants dans le Val-d’Oise mais le sujet est sensible. 

Et un lendemain de  »pluie » (à peine 3 mm), une amie du village, qui dit tout fort ce que beaucoup pensent tout bas, poste une photo de ce qu’elle voit de sa fenêtre : un canon qui arrose en pleine matinée, avec un commentaire qui souligne la différence de traitement entre agriculteurs et particuliers. Ce à quoi un autre copain du village lui répond que la réponse est dans l’assiette, qu’elle n’a qu’à arrêter de manger de la viande, illustré d’une capture d’écran d’une étude évaluant le besoin en eau pour produire 1 kg de viande à 15 300 litres d’eau. 

Je bouillonne quand je lis ça. Tout est faux ou au mieux caricatural : 

– il était à peine 9 heures quand la photo a été prise. À cette heure sur le Vexin, les particuliers ont tout autant le droit d’arroser (restriction de 10 heures à 20 heures) ; 

– l’arrosage était sur betterave, assez éloigné de la production de viande ; 

– la petite pluie ne compensait en rien le déficit hydrique ; 

– l’eau utilisée ne concurrençait pas l’usage domestique puisqu’elle était pompée dans un cours d’eau ; 

– je vous passe le calcul qui considère l’eau absorbée par les prairies pour trouver 15 m3 d’eau pour 1 kg de viande. 

Je ne bouillonne pas trop longtemps et considère que c’est instructif sur la pensée des gens, en l’occurrence des gens que je connais assez bien. Par chance, nous sommes au colza et j’ai un peu de temps donc je réponds. Un autre villageois s’immisce dans les échanges me demandant si l’arrosage a un effet bénéfique sur les pesticides, suivi d’un lien vers un site faisant le rapprochement entre pesticides et cancer ? ! 

J’ai tendance à croire que cet échantillon de villageois est représentatif de la population qui nous entoure. À part enfoncer des portes maintes fois ouvertes, j’ai franchement le sentiment que la situation empire. Sans doute, considérant que nous avons autre chose à faire, nous ne passons pas assez de temps à communiquer, mais il va maintenant falloir un peu plus que la bonne volonté des agriculteurs pour défendre la profession. 

Notre nouveau président Arnaud Rousseau va devoir être inventif sur le dossier, peut-être tisser des liens avec les industriels qui sont beaucoup trop en retrait sur des intérêts que nous avons en commun. 

Peut-être deviens-je un vieux  »con » pessimiste, mais j’ai le sentiment que nous sommes à un tournant pour la profession. Tous nos efforts de productivité sous une montagne de contraintes sont remis en cause dans un contexte de demandes toujours croissantes. Même si beaucoup de décisions nous échappent, attachons-nous à être fiers de notre métier, combatifs pour le défendre, cohérents dans nos décisions, ainsi qu’adaptables dans un monde instable de l’immédiateté et des injonctions contradictoires. »