« Shoot d’agronomie salvateur » 

Agriculteur à Magny-en-Vexin (Val-d’Oise), Gilles Maigniel est président de la section dégâts de gibier et administrateur de la FDSEA Île-de-France. 

« Une fois n’est pas coutume, cette année, l’opportunité que j’ai de m’exprimer dans Horizons à travers cet édito ne sera pas consacrée à la gestion des dégâts occasionnés par le gibier. La lecture du texte d’Olivier Gousseau dans l’édition du 4 février, intitulé « Bien-être à la campagne » a trouvé écho chez moi et débloqué la réserve que je m’étais imposée. 

À bientôt 60 ans, je suis encore sensible à la vue des chevreuils qui traversent le pré, je m’intéresse aux traces laissées la nuit par les sangliers en essayant de comprendre leur périple, et ils ont souvent un coup d’avance sur moi ! 

Voilà douze ans que j’ai opté pour l’agriculture de conservation et je constate aujourd’hui l’amélioration des sols de la ferme. La vie souterraine est là, intense, très difficile à maîtriser. J’essaie de ne pas faire d’erreurs et d’apprendre. 

Justement, apprendre en groupe, partager ses réussites et ses échecs, est un exercice courant en agriculture. Je ne sais pas si une autre profession peut autant s’enorgueillir de cet esprit de mutualisation. Quelle fierté de participer à cette recherche avec les collègues agriculteurs, tous techniciens passionnés. 

Je m’intéresse aux mycorhizes, aux vers de terre, à la captation du carbone, aux abeilles… Je constate une meilleure porosité des sols, la suppression progressive des semelles laissées par le passage des outils et l’arrêt de l’érosion. 

Mais je vois arriver sur nous un tsunami d’incompréhensions, de promesses jamais tenues, d’une société captive contradictoire, manipulée à souhait et désinformée, et, pire, sourde aux conclusions scientifiques. 

Bien entendu, certains d’entre nous s’adaptent. Nos enfants sont diplômés et courageux. Ils travaillent tellement qu’ils ne peuvent plus remplacer les aînés dans nos organisations professionnelles. Le piège est refermé. 

Le modèle agricole qui nous est imposé nous éloigne petit à petit des fondamentaux de l’agronomie : l’observation, l’analyse, la correction des erreurs passées, la projection dans l’avenir. 

Nous n’avons attendu personne et surtout pas les technocrates assurés de leur supériorité intellectuelle pour nourrir l’humanité en quantité et en qualité. Alors, devant toute cette adversité, il est peut-être marginal de se passionner autour d’un profil cultural, de serrer une motte dans sa main pour en évaluer la texture et analyser sa structure, d’être admiratif du travail d’une racine qui utilise les galeries de vers de terre pour aller puiser l’eau nécessaire à sa vie. Il est sûrement marginal d’attendre avec impatience de plonger son bras dans la première remorque de blé de la saison. Notre métier impose la patience, l’humilité et la capacité à s’adapter et à rebondir. 

Il faut bien constater qu’aujourd’hui, notre niveau de résilience atteint ses limites. Trop, c’est trop. 

Alors, pour recharger les batteries, un shoot d’agronomie est salvateur : le retour aux sources. Un ami garde-chasse, piégeur exceptionnel, utilisait une expression que je trouve magnifique :  »Demain matin, après la petite pluie de ce soir, je viendrai lire la terre ». 

Il lisait les traces d’animaux, et croyez-moi, cette science ne s’apprend pas sur Internet. Ceux qui travaillent la terre sont bien plus forts que ceux qui l’imaginent. Le Conseil d’État a cru nous intimider. Il se trompe. Sa médiocrité ne fait que nous renforcer. Nous en avons vu d’autres ! 

Bons semis. »