« L’effondrement de la filière sucre aura-t-il lieu? »

Agriculteur à Morigny-Champigny (Essonne), Benoit Mazure est le président du syndicat Hurepoix-Étampois et, à ce titre, administrateur de la FDSEA Île-de-France. 

« Quel gâchis ! Comment a-t-on pu en arriver là ? Voilà une filière d’excellence dans notre pays qui vacille comme malheureusement tant d’autres. La France dispose de tous les atouts : un terroir adapté à la culture de la betterave, des sucreries modernes, des savoir-faire reconnus, une production de sucre qui a toute sa place dans une Europe déficitaire. 

C’était sans compter sur l’amateurisme de nos responsables politiques, qui, aveuglés par leurs idéologies, prennent des décisions sans en évaluer les conséquences. L’interdiction des néonicotinoïdes plonge, comme en 2020, les betteraviers dans une impasse technique et discrédite une fois de plus la parole de l’État qui s’était engagé à accorder une dérogation cette année encore. 

Les conséquences ne se sont pas fait attendre : 

– des surfaces de betteraves en baisse (entre -10 et -15 %) ; 

– arrêt de la sucrerie d’Escaudoeuvres (Nord) ; 

– baisse attendue de la production 2023 avec de probables attaques de pucerons vecteurs de la jaunisse. 

Et pour couronner le tout, les importations de sucre vont augmenter dans l’UE pour combler la moindre production française. Ces importations feront à coup sûr le bonheur de nos concurrents internationaux qui, en plus, vont profiter pleinement du redressement spectaculaire des cours du sucre. 

Alors la filière sucre française se remettra-t-elle de ce désastre ? Je veux croire qu’un sursaut est encore possible et j’appelle mes collègues planteurs de betteraves à ne pas abandonner cette culture. 

Des signaux positifs nous viennent de toutes parts. 

En premier lieu, je fonde beaucoup d’espoirs dans la génétique qui devrait nous apporter des solutions intéressantes pour combattre les maladies et simplifier le désherbage. Les variétés tolérantes à la jaunisse arriveront sur le marché dès les semis 2024. D’autres variétés dites » Conviso Smart « sont déjà prêtes et permettent d’utiliser des herbicides de la famille des sulfonylurées, renforçant ainsi l’efficacité du désherbage. 

En second lieu, j’observe avec satisfaction la courbe du prix de la betterave proposé par nos sucreries. Au-dessus de 40 euros la tonne, je considère que cette culture retrouve de l’attractivité même avec des rendements moyens et conserve sa place pour diversifier nos assolements. 

Enfin, j’ose croire que le ministre tiendra parole et viendra compenser » intégralement « les pertes liées à la jaunisse. Les modalités exactes ne sont pas encore complètement arrêtées mais pour éviter le plafond des minimis, ce sera l’article 221 du règlement OCM pour la gestion des crises qui devrait être activé. Cela devrait lever une bonne partie du risque financier pris par les planteurs en 2023. 

Pour terminer, la clé du rebond de la filière viendra aussi de nos sucreries qui, pour la majorité, sont des coopératives. Il faut qu’elles acceptent plus de souplesse dans les contrats car, en cette période incertaine, les engagements sur cinq ans rebutent bon nombre de planteurs. C’est à ce prix qu’on arrivera à éviter l’érosion des surfaces et donc le déclin de la betterave en France. »